Il est assez communément admis que suivre un atelier (ici de portage) permet de découvrir plus en détail la pratique, de tester du matériel, d’avoir des réponses à ses questions, de bénéficier d’un temps dédié à cet outil, dans un cadre de soutien de la parentalité et de la famille avec une professionnelle du domaine, formée et passionnée (généralement, nous sommes des femmes). Pour autant, est-ce un besoin, voire un passage obligé pour être à l’aise ? Suivre un atelier de portage, est-ce une nécessité, une envie, une obligation, un luxe, ou encore autre chose… ?

Je tiens à le souligner d’entrée : cet article est le fruit de nombreuses réflexions personnelles, dont les conclusions se basent sur ma subjectivité (vision du monde, vécu…). Libre à vous d’y adhérer complètement, partiellement ou pas du tout !

Définitions

Pour que ma réflexion ait une chance d’être comprise, Larousse, Robert et moi, vous proposons la définition qui nous semble le plus adapté pour chacun des termes.

Action de porter quelque chose ou quelqu’un, d’un individu considéré comme porteur. J’inclus ici les idées de portage à bras et dans un outil.

Exigence pour l’être humain provenant de sa nature même. N’est considéré comme besoin, ce dont on ne peut se passer pour vivre (manger, boire, dormir, interagir…).

Sentiment de désir mêlé d’irritation, de dépit qu’éprouve quelqu’un contre ceux qui possèdent ce qu’il n’a pas.

BESOIN/ ENVIE – Exemple avec le sommeil. Dans le langage courant les 2 termes sont souvent utilisés comme synonymes « j’ai envie de dormir » vs « j’ai besoin de dormir ». On est pourtant sur deux niveaux bien différents : d’une part, un besoin vital pour « continuer de fonctionner correctement », d’autre part, un sentiment qui naît généralement de l’ennui, le manque d’actions…

=> Bref dans la théorie, quand on a envie de dormir une action divertissante, un café… et ça repart. Quand on a besoin de dormir, seule une contrainte/ obligation plus forte que notre besoin de sommeil peut nous maintenir éveillé, pour autant nos capacités sont limitées, du fait de l’expression de ce besoin.

Devoir, contrainte imposée par des règles morales, une norme sociale… Bref, quelque chose que l’on fait par pression et non de notre propre volonté.

Plaisir qu’on se fait, sans vraie nécessité. L’idée du coût peut ou non être questionnée, puisqu’une chose peut être luxueuse sans être coûteuse financièrement.

Tendance héréditaire et innée des comportements de l’homme et des animaux.

Héritage ; l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et effectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social (définition de l’UNESCO).

Le bébé, origine du portage

Parmi ses besoins physiologiques (donc vitaux, par définition), il y a – entre autres – la proximité, le contact avec son parent, l’interaction avec celui-ci… De ce fait, le portage qu’il soit à bras, soutenu par sa base, en diagonale ou sous les aisselles, ou en outils adaptés, porter son bébé répond nombre à ses besoins vitaux.

Les parents, ces porteurs naturels

Porter son bébé répond à ses besoins, et souvent aussi aux nôtres : calme, apaisement, déplacements, alimentation… dans le fond, le besoin de proximité est commun à toute une famille. Il débute toujours « dans les bras », et parfois évolue en « portage dans un moyen de portage ».

1. Porter dans les bras

Il y a une part d’héritage socio-culturel dans ce portage et si cet apprentissage vient à manquer, autour du bébé qui vient de naître, il y a généralement au moins un individu qui sait saisir et déplacer un bébé. Par imitation, et la nécessité du moment (le bébé est né, il faut bien en faire quelque chose…), et poussé par l’instinct, on agit et porte cet enfant. .

On peut être maladroit au début, on peut avoir du mal à rassembler l’enfant, à sentir qu’on « tient tous les bouts »… pourtant le portage est réalisé. En France, lors des formations de monitrices de portage, une très grande attention est portée à la prise, dépose et manipulation dans les bras du bébé. L’enroulement, la contenance, un rapprochement immédiat encore les corps du porté et du porteur sont recherchés, encouragés, voir exigés. S’il s’agit de conseils utiles (pour répartir au plus rapidement le poids du bébé sur le porteur, et ainsi limiter les douleurs liées au portage dans les bras ; réduire le risque de désorganisation, et de réflexe de moro du bébé…), il ne s’agit pas de règles universelles et immuables. D’ailleurs, il suffit d’aller voir ce qui se fait à travers le monde (ou simplement de l’autre côté du Rhin), pour voir que les recommandations de prise, dépose et portage dans les bras sont très différentes d’un pays à l’autre. .

Ainsi, si ce n’est que pour le portage dans les bras, non, un atelier de portage n’est pas nécessaire. Il peut répondre à une envie, celle de se voir offrir un temps dédié à son bébé, sa relation avec lui, les échanges corporels qu’on peut avoir lors de la prise, dépose, câlins… mais ça reste un luxe. Pas forcément un luxe financier, puisqu’on retrouve de plus en plus d’ateliers donnés bénévolement par des agents de PMI, hôpitaux, sage-femmes… à des tarifs abordables, voire gratuits. Mais un coût éventuel en termes de disponibilité, temps, organisation…

2. Le besoin de « bien faire »

C’est un élément qui a traversé ma réflexion lors de mes questionnements sur le portage dans les bras. Qui s’imagine qu’il faut apprendre (de façon nécessaire) à « porter dans les bras », avant qu’on lui explique l’importance que telle ou telle prise dans les bras présente ou, plutôt, pourquoi il ne faut surtout pas faire telle prise ? L’immense majorité des gens ne vont même pas réfléchir et conscientiser leur façon de prendre leur enfant. On a vu faire, on reproduit. On a grandi avec une consignes « tenir la tête », « saisir sous les bras », « porter en diagonale »… et on reproduit : reproduire, est de l’ordre de l’inné ; l’objet (ici façon de porter/ « materner/ parenter ») est de l’ordre de l’héritage socio-culturel. Ce n’est pas un manque d’intérêt envers l’enfant et ce qui pourrait être le mieux pour lui, mais une simple et naturelle confiance en ses capacités.

On l’a vu, il n’existe pas de consensus dans le monde du portage sur les « bonnes » et « mauvaises » pratiques. Dès lors, comment considérer que suivre un atelier pour du portage à bras comme autre chose qu’un luxe répondant à une curiosité personnelle, une envie d’en savoir plus, de profiter d’un moment dédié à une thématique intéressante ? En bref, un privilège réservé à une élite disposant de temps, de disponibilité mentale et, souvent, de moyens financiers.

Ce n’est pas mal de proposer un service de l’ordre du « luxe », qui répond à la satisfaction d’une envie personnelle, qu’elle soit motivée par la curiosité, la recherche d’un temps dédié, d’une réflexion autour de l’enfant… Par contre, ce qui n’est pas éthique, c’est de transformer une pratique innée et naturelle (bien que pas toujours réalisée selon les apprentissages de nos formations…) et/ou acquise culturellement, en une pratique élitiste répondant à des règles très précises, auxquelles n’a accès qu’une partie privilégiée de la population, car disposant des ressources financières, physiques, mentales…

3. Porter dans un moyen de portage

Pour le parent, le besoin d’avoir une aide ou un soutien lors de longs portages à bras peut se faire sentir, sous peine d’y laisser ses bras et de finir avec un dos en charpie (j’accentue très légèrement le trait…). Qu’en est-il donc de l’utilisation des moyens de portage ?

Pour jouer un peu, on pourrait sortir la théorie de Timothy Taylor, selon laquelle l’Homme descendrait du porte-bébé (Taylor, 2010). Sa théorie : le bébé nait immature, du fait de la bipédie nouvellement acquise de sa mère ; à cause de son redressement et de la perte de ses poils, celle-ci ne peut plus le porter sur son dos ; or, le bébé ne peut se développer sans cette proximité, et elle ne peut chasser, cueillir… avec un bébé dans les bras. Les premiers porte-bébés en peau sont créés. Grâce à eux et surtout, à la proximité permise entre porté et porteur, l’humain peut se développer. Son cerveau qui ne cesse de grandir d’évolutions en évolutions, serait permise par ce portage et le raccourcis est fait : l’Homme descend du porte-bébé. Une jolie théorie, qui met en avant l’aspect vital que l’outil de portage peut revêtir, tout en permettant une réflexion sur la nécessité de l’apprentissage d’une activité si primitive.

En occident, la pratique du portage répond à un ensemble de règles, propres à chaque pays, voire même, à chaque école de portage. Ces règles sont globalement accessibles (internet, livres, podcasts…), mais leur existence même a tendance à rendre la pratique anxiogène (inquiétudes quant à la hauteur du bébé, son positionnement des pieds/ jambes/ genoux/ hanches…). Associées à la richesse du marché, variété d’outils, d’installations, de réglages possibles, on se perd rapidement. Ainsi, le combo « recherche de la perfection dans l’outil et l’installation, eu égard aux règles imposées pour réaliser un bon portage », réserve le portage à une élite. Une population réduite qui dispose des ressources nécessaires pour faire ses recherches, apprendre d’elle-même et/ ou suivre un atelier, donc disposant de temps, de disponibilité mentale et/ou d’un capital financier. Des familles pour qui l’atelier de portage va sembler nécessaire, car il faut bien apprendre à utiliser ce moyen de portage, selon ces conditions lues/ vues/ entendues. Une situation qui créé un sentiment d’obligation « Pour savoir porter, pour savoir utiliser mon outil… je dois suivre un atelier de portage », qui se mute en sentiment d’urgence. L’atelier ne semble alors pas un luxe, dans le marché dans lequel il évolue : on retire ses compétences primaires au parent, pour lui mettre entre les mains un outil complexe, associée d’une liste de dangers et de risques – évidemment, que les parents qui en ont les moyens, et mêmes ceux qui n’en ont pas beaucoup, vont essayer de trouver quelqu’un pour les aider ! Et ceux qui n’en auront pas, se verront dans l’incapacité de suivre. Certains lâcheront les règles entendues pour faire, plus ou moins honteusement selon la pression de leur milieu, ce qui leur semble à peu près bien, et d’autres abandonneront le portage, entretenant l’élitisme de la pratique.

Un système complexe

Aux grés des besoins, le portage s’est adapté aux situations, aux familles, aux bébés. Chaque société dispose de sa vision et de son outil, hérités de ses contraintes en la matière. Pour autant, s’il s’agissait bien initialement d’un art simple, destiné à rendre service, notre quête de perfection, de technique, nous a fait perdre de vue nos compétences de parents et d’humains. D’une pratique commune et populaire, utilisée à travers l’histoire et le monde, nous avons créé un art complexe et technique, dont l’apprentissage se veut codifié, suivi et encadré.

  • Porter, ça peut se pratiquer « à l’instinct », pour un peu qu’on n’ait pas le cerveau brouillé par ce qu’on peut lire et entendre.
  • Porter, ça peut s’apprendre seul.e, avec des tutoriels ou des ami.es, et on peut très bien la pratiquer sans avoir appris auprès de quelqu’un de formé.
  • Porter, ça peut s’apprendre lors d’un atelier de portage avec une monitrice de portage, personne formée et proposant ce service, pour offrir un temps dédié à cette pratique qu’elle affectionne, une expertise en plus…

Toutes les options se valent dès lors qu’elles sont choisies librement. On n’a pas besoin de complexifier la pratique pour donner une justification à notre métier. Au contraire, avoir conscience de la réalité des personnes, que faire un atelier est un cadeau qu’une famille se fait pour en savoir plus, gagner en confiance, s’épanouir dans une pratique qui lui semble importante, c’est tout aussi valorisant.

Nos prestations sont un choix, pas une nécessité et de ce fait, nous pouvons nous questionner sur la possibilité de faire d’une activité de portage, un métier à part entière et à temps plein…

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